Contribution de
N°19 - Léon PARCE Mémorial écrit par Léon PARCE pour Myron LEBEDINSKY
Il y a de cela plus d’un tiers de siècle, le Directeur du service des Lignes souterraines à Grande Distance de l'Administration des P.T.T.convoqua certain jour dans son bureau deux de ses jeunes collaborateurs.
On était tout à fait au début du développement du matériel de transmission.
Dans notre pays qui avait supporté quelques années auparavant le lourd fardeau d'une longue guerre avec son cortège de pertes et de dévastations, l'effort de remise en état devait se conjuguer maintenant avec les réalisations nouvelles que d'autres nations moins atteintes avaient déjà entreprises pendant les hostilités, prenant ainsi sur nous une avance trop certaine.
A défaut d’expérience, les techniciens français ne le cédaient à personne en puissance virtuelle et encore moins en passion enthousiaste. Ils cherchaient leur voie, tâtonnant·dans les premières lueurs encore confuses de l'aurore, car il importait de tracer à travers les fourrés et les broussailles une route nationale qui fût assez loin des itinéraires interdits.
Tout départ vers l’inconnu est plein d'attraits.
Surviennent bientôt les premières épines et les ronces, les obstacles sur lesquels on bute, l'isolement dans les fourrés sombres et le brouillard surtout qui envahit l'âme.
A cette époque, les circuits à moyenne distance à 2 fils étaient de beaucoup les plus nombreux. Il fallait donc s’appliquer avant tout à obtenir une bonne adaptation des impédances pour les répéteurs allant sur ce type de circuits.
Avant 1928, la valeur normale admise pour le coefficient d'adaptation était de 0,30.
Les premiers travaux de M. LEBEDINSKY portèrent sur la réduction de cette valeur. La réussite fût complète.
Dès 1929, ce coefficient était ramené à une valeur comprise entre 0,10 et 0,05, ce qui permit d'accroître considérablement la stabilité des circuits à 2 fils.
Mais un perfectionnement sur un point ne doit pas rester un fait isolé, sans aucune relation avec ce qui l'entoure. Un esprit pénétrant saura toujours élargir un succès.
Utiliser les éléments réglables de l'adaptateur d'impédance du répéteur 2 fils, conjointement avec ceux du filtre de limitation de bande, pour n'avoir plus qu'un seul type de répéteur pour le circuit réel et fantôme, et cela quelle que soit la charge, telle fut l'exploitation surprenante que réalisa M. LEBEDINSKY de son premier avantage.
Ce fait était déjà très important par lui-même. Mais il avait surtout une valeur de symbole. La technique française venait de prendre une initiative. Pour la première fois, elle faisait entendre sa voix dans le concert international. Une ère nouvelle commençait; ses rayons bien timides encore n'allaient cesser de s'affirmer.
Ces débuts de M. LEBEDINSKY méritent déjà qu'on s'y arrête. Ils avaient suivi une période de formation industrielle de quelques années, après la sortie de l'Institut Electrotechnique de Grenoble. Ils nous permettent de découvrir d'emblée le technicien, tel que nous allons le retrouver ensuite, tout au long de sa carrière.
A l'origine, une réflexion constante, assidue, telle que l'esprit, en présence d'une question, la pressait sur toutes ses faces, jusqu'à l'épuisement du contenu.
Les solutions de facilités sont à enregistrer, sans plus. Il faut toujours tendre vers le mieux et les résultats obtenus, même s'ils sont excellents, ne doivent jamais nous satisfaire.
Etranger à toute rêverie technique, tous les perfectionnements devaient s'insérer dans un cadre industriel.
Simplifier le matériel, pousser au maximum l'interchangeabilité des pièces, réduire les prix, faciliter l'exploitation, telles ont été les lignes essentielles qu'il a toujours suivies.
On retrouve cela dans ces premiers succès de 1929. Un avenir magnifique s'annonçait.
Et voici que cet élan fut traversé par une de ces vicissitudes, comme il s'en produisit vers 1930. En pleine victoire technique, les Etablissements Grammont furent obligés de quitter la S.E.L.T., car leur usine de Pont-de-Chéruy passait sous un autre contrôle.
Tout allait donc être remis en question ?
Non, car l'Administration des P.T.T. veillait. Elle n'avait pas oublié les heureuses surprises de 1929.
Aussi, dès que les circonstances le permirent, la Société des Téléphones Grammont reçut seule, en 1931, la commande des câbles : Le Mans-Rennes et Le Mans-Angers.
A ce signal, tout le personnel technique se retrouva aussitôt pour reprendre la tâche interrompue pendant quelques mois. Une Société fut constituée à cet effet en 1932 : ce fut la "Société d'Applications Téléphoniques". M. LEBEDINSKY était le chef du laboratoire du Matériel de Stations et contrôlait de plus la fabrication et les installations.
Les deux années d'effacement forcé qui venaient de s'écouler n'avaient pas été perdues. M. LEBEDINSKY dans son Laboratoire avait continué ses études en silence.
Les moyens dont il disposait étaient encore très réduits. Malgré cette déficience, la moisson fut magnifique. Ce fut cette fameuse technique des "Inductances Mutuelles à couplage négatif à fuite" qui fut créée à ce moment et que la jeune S.A.T. trouva dans son berceau.
De nouveau, M. LEBEDINSKY sut tirer tout le parti possible de sa découverte. Il l'étendit à de nombreux appareils adaptateurs d'impédance, correcteurs de distorsion, équilibreurs de câble.
De sorte que les premiers répéteurs construits par la S.A.T. se distinguaient déjà, non seulement par leur haute qualité et des schémas originaux, mais encore par un encombrement réduit obtenu par un groupement en quartes des unités de translateurs.
Cette utilisation originale des inductances mutuelles libérait cette fois très largement la technique française. De progrès ultérieurs consacrèrent cette autonomie.
Le choc psychologique fut considérable. On se dégageait d'un complexe d'infériorité; Il était démontré qu'un retard pouvait être comblé, qu'il suffisait d'équiper des Laboratoires et que des chercheurs qualifiés se chargeaient du reste.
Le système de répéteurs Paris-Rennes créé par l'équipe de M. LEBEDINSKY était donc l'expression de la première technique spécifiquement française. Plus de mille exemplaires de ce type furent fabriqués en 1934.
C'est sur ce matériel que M. LEBEDINSKY plaça les équilibreurs de ligne dans le répéteur à 2 fils, améliorant encore par cette innovation la stabilité des circuits.
Une autre caractéristique concernait le signaleur. Celui-ci était remarquable par son amovibilité qui apportait un perfectionnement décisif. Le réglage des organes et les réparations en étaient rendus plus commodes. Ces facilités devaient inspirer la conception des matériels futurs.
Enfin l'organisation générale des stations fut radicalement rénovée dans le câble Le Mans-Rennes. Grâce à l'expérience acquise par M. LEBEDINSKY, grâce aussi à la liaison permanente et efficace qu'il avait créée avec l'Administration des P.T.T., aux remarques des usagers dont son intelligence aiguë avait su tirer le plus grand profit, des dispositions plus rationnelles furent adoptées pour les travées dans les stations et pour les organes dans les travées. De sorte que le câble Le Mans-Rennes était mis en service dans une atmosphère de succès.
La route était désormais grande ouverte vers d'autres domaines : courants porteurs, télégraphie, pendant que des moyens nouveaux étaient mis à la disposition du Laboratoire pour s'y engager.
Au début de 1939 se produisit un événement de grande conséquence. Les "Téléphones Grammont" cédèrent l'actif de la S.A.T. à la Société d'Applications Générales d'Electricité et de Mécanique (S.A.G.E.M.) et celle-ci constitua aussitôt une nouvelle Société pour exploiter cet actif. Ainsi prit naissance la Société Anonyme de Télécommunications (S.A.T.) qui devenait une des Sociétés participantes du groupe industriel formé par la Compagnie des Signaux et Entreprises Electriques et S.A.G.E.M. Cette mutation devait permettre à la nouvelle S.A.T. de prendre un essor décisif, car on pouvait espérer que la certitude de reposer désormais sur des fondements bien établis, allait lui permettre de s'engager résolument dans la voie ouverte par les récents succès.
Les événements de l'été 1939 firent crouler tous ces projets.
Il fallut faire face aux problèmes urgents posés par la guerre.
Jusqu'au mois de mai 1940, on dut fabriquer, poser et équiper des câbles dans la région du Nord, où la pénurie de liaisons était la plus sensible.
Les tragiques semaines qui suivirent le 10 mai 1940 surprirent, plus que tout autre, M. LEBEDINSKY. La confiance absolue fit place brusquement à l'anxiété. Trop réaliste pour ne pas apercevoir le danger et néanmoins espérant toujours un redressement inopiné, il vécut haletant le drame inexorable.
Lorsque les dernières illusions durent céder définitivement devant les faits, la S.A.T. se replia à Montluçon, où elle trouva des ateliers propres à recevoir ses fabrications et ses Laboratoires.
Mais l'Administration des P.T.T. aperçut rapidement les avantages qu'elle pouvait tirer de cette usine qui s'installait en zone sud.
Pour l'instant, il importait de durer. L'avenir créerait les occasions, on y aiderait au besoin.
Les matières premières étaient rares ou introuvables. On était coupé de tout et de tous.
C'est dans cette conjecture que M. LEBEDINSKY laissa le champ libre à son imagination créatrice.
L'énoncé du problème tenait en quelques mots : il fallait fabriquer beaucoup avec peu de chose.
Produire beaucoup car il s'avérait dès 1941 que la guerre serait longue et les destructions immenses. Produire avec économie, car il paraissait que la pénurie de matières se prolongerait longtemps après le dernier coup de canon.
Puisque le fer et le cuivre étaient devenus des métaux rares, l'aluminium qui l'était moins les remplacerait d'abord dans toute la mesure du possible.
Mais il était important surtout de repenser le matériel. A cette époque, tous les bâtis dans les stations étaient pourvus d'organes qui étaient exploités sur leurs deux faces. Les inconvénients de cette disposition apparaissaient lorsqu'il fallait opérer simultanément sur les deux faces pour effectuer un réglage ou une réparation. Le personnel des stations devait être plus nombreux tout en travaillant dans de plus mauvaises conditions.
M. LEBEDINSKY créa en 1941 le matériel dit "à simple face" dans lequel tous les blocs avec leur câblage étaient accessibles sur la face avant du bâti. On avait ainsi une accessibilité totale, d'où il résultait une facilité d'exploitation considérable.
Un autre avantage de cette disposition résidait dans le doublement de la capacité de la travée, donc de la station elle-même.
On était ainsi libéré de tout souci concernant les extensions.
On devine combien, dans cette période difficile de disette, ce matériel fut bien accueilli et quels espoirs les esprits avisés fondèrent aussitôt sur lui.
Abaissement des prix résultant d'un meilleur choix des matériaux, de la diminution du volume des organes et d'une standardisation poussée à l'extrême : voilà qui permettait d'utiliser au mieux le plus de crédits dont on disposait à ce moment et les maigres bons matières qui les accompagnaient tant bien que mal.
Ces initiatives de M. LEBEDINSKY, jointes aux difficultés qu'il fallait vaincre pour les faire aboutir, étaient un stimulant pour le moral du personnel technique.
Elles montraient qu'on ne se résignait pas à tenir, dans notre domaine, des rôles de figurants. Le chemin était court qui portait à généraliser et, à cet effet, saisir toutes les occasions prélibératrices.
Dans la confusion qui régnait, c'était à qui rechercherait les moyens de se rendre utile. Tentatives louables par leurs intentions surtout, mais dont l'efficacité restait douteuse. Qu'importe cependant si le succès de l'entreprise n'était pas tel qu'on le désirait. Le fait de relever la tête était déjà un résultat.
C'est ainsi qu'on fit appel à la S.A.T. pour effectuer clandestinement, dans le courant de 1941, des essais sur de nouveaux types de circuits. Ces expériences eurent lieu à la ferme La Rapine, près de Clermont. M. LEBEDINSKY y participa. Elles n'eurent aucune suite.
Mais l'élan était donné. Ce prélude fut suivi d'une opération bien plus extraordinaire.
Pendant un voyage à Paris fin 1941, M. LEBEDINSKY fut informé qu'une équipe de la Résistance organisait l'installation de postes d'écoute sur les câbles Paris-Metz et Paris-Strasbourg. On demandait à la S.A.T. de vouloir bien donner le matériel nécessaire.
Dès son retour à Montluçon, M. LEBEDINSKY mit la Direction au courant, laquelle donna aussitôt son accord pour fournir tout ce qui serait requis. M. LEBEDINSKY se mit tout de suite au travail et s'entourant de précautions, fit préparer un matériel anonyme qui fut livré en temps voulu.
De la sorte on put capter pendant des mois les communications de l'occupant, jusqu'au jour où celui-ci, informé sans doute ou se doutant de quelque piège, procéda à des recherches et surprit, pendant leur travail, les compagnons de l'Ingénieur des P.T.T. KELLER. Ce dernier fut immédiatement arrêté et tous furent déportés. Beaucoup périrent, mais aucun ne parla. La croix de la Légion d'Honneur et la croix de guerre avec palme récompensèrent à la Libération, la contribution que M. LEBEDINSKY avait apportée à la Résistance Française.
Rappelons encore un dernier fait des années 1943 et 1944. le nouveau matériel à volume réduit commençant à être fabriqué en série dès l'hiver 1942-43 et les événements extérieurs se développant comme l'on sait, il apparut à l'Administration des P.T.T. que l'on pouvait déjà prévoir le mieux et que pour s'y préparer, il fallait avoir en réserve des stocks importants.
Cette mission de fabrication et de stockage fut confiée à la S.A.T. Le matériel était caché dans les granges d'une dizaine de fermes, autour de Montluçon. Malgré les mauvaises conditions dans lesquelles il était entreposé, il fut immédiatement utilisable dès la Libération. On put ainsi rétablir les communications dans des temps très courts. Tel fut le fruit des heureuses innovations de M. LEBEDINSKY.
L'après-guerre s'annonçait comme une période de rénovation. Les progrès techniques accomplis partout pendant la guerre, joints à l'isolement français durant les quatre longues années de l'occupation, poussaient à une confrontation générale. Diverses tendances s'affrontaient. Il importait de les harmoniser grâce à la création par l'Administration des P.T.T. d'un matériel unique aux études duquel tous les constructeurs seraient appelés à collaborer au sein de la nouvelle Société qui venait d'être fondée : la S.O.T.E.L.E.C.
Les apprêts furent plus longs qu'on ne supposait, ce qui était normal, car les techniciens des diverses entreprises n'avaient pas encore l'habitude du travail en commun. Ainsi vit le jour en 1947 l'équipement que l'on désigna sous le nom de "matériel 44". Il s'inspirait largement du matériel simple face créé par la S.A.T.
Mais sous l'influence de données nouvelles, les idées de M. LEBEDINSKY avaient largement évolué depuis 1941. Les circuits coaxiaux en particulier, transportant un nombre bien plus considérable de voies, ne pouvaient s'accommoder d'une adaptation des solutions anciennes. Il fallait reprendre l'ensemble du problème, en s'inspirant toujours des mêmes directives : compression de volume, diminution des prix, facilités plus grandes de fabrication et d'exploitation.
M. LEBEDINSKY obtint le résultat recherché en groupant dans une travée des organes constitutifs qui étaient auparavant dispersés dans la station, ce qui revenait à faire de chaque travée une petite station en y rassemblant les têtes de câbles, répartiteurs, translateurs, équilibreurs et répéteurs correspondants. Ce fut le matériel 51 L. Sa présentation coïncida avec les besoins très importants de l'Administration des P.T.T. pour la mise en service de ce qu'on appela "l'infrastructure" du nouveau réseau français. Il procura une économie très appréciable et comme conséquence donna des facilités d'exploitation.
Tous ces travaux joints à la multitude des faits divers quotidiens, n'étaient pas sans entraîner avec eux un cortège de soucis constants et de fatigues. Mais M. LEBEDINSKY ne s'y arrêtait pas. Il était trop dur envers lui-même, il avait trop d'enthousiasme pour son métier, pour y prêter attention. Le corps pouvait donner des signes de lassitude, l'esprit ne fléchissait pas.
Le matériel 51L était lancé ? On passait aussitôt après aux faisceaux hertziens. Ou plutôt on menait parallèlement les télécommunications par fil et par Radio.
Dès 1950, M. LEBEDINSKY portant d'abord son effort sur les faisceaux hertziens à petit nombre de voies, fit créer des postes radioélectriques fixes et d'autres pour véhicules que diverses Administrations utilisèrent ainsi que de grands services publics.
Quelques mois plus tard, il fit développer pour l'O.T.A.N. un matériel hertzien et de courants porteurs à 120 voies qui équipe un faisceau international reliant l'Italie à la Turquie à travers la Grèce et qui depuis, n'a cessé de s'étendre.
Ensuite, guidé toujours par ses mobiles invariants, il rénova l'organisation des équipements des faisceaux hertziens en hyperfréquence qui, sous l'appellation G.D.H. 103, transmettaient 300 voies par canal. Ce système, étudié d'abord en collaboration avec le C.N.E.T., fut ensuite normalisé par l'Administration des P.T.T.
Enfin M. LEBEDINSKY poursuivant un double dessein, faisait aboutir d'une part l'étude et la réalisation d'un faisceau hertzien de campagne utilisé par la Défense Nationale pendant qu'il rassemblait d'autre part tous les moyens destinés à la réalisation d'un faisceau troposphérique à 120 voies.
Restait la grande nouveauté du milieu du siècle : les semi-conducteurs. C'était un ultime appoint qui arrivait pour réaliser l'idée favorite de M. LEBEDINSKY et lui donner un accomplissement. Dans l'idée de M. LEBEDINSKY, le matériel 51L était périmé dès 1956, mais pourquoi le remplacer puisque l'intervention prochaine des transistors allait encore tout bouleverser. Mieux valait patienter et se préparer en attendant. C'est ainsi que mûrit le matériel qui devait être appelé 60C où l'équipement de 60 voies téléphoniques avec des sources de courants porteurs tient à l'aise dans un volume, où en 1944 ne tenait pas un système à 12 voies sans les sources. Adopté conjointement par l'Administration des P.T.T. et par le Ministère de l'Air, ce matériel outre sa conception originale et ses commodités techniques, a procuré des abaissements de prix qui le placent en bonne position dans les compétitions internationales.
Mais les transistors ouvraient des perspectives très larges qui ne se limitaient pas à la transmission. D'autres disciplines pouvaient aussi y prétendre, en particulier la commutation, car l'électronique pouvait espérer y suppléer désormais une partie de la mécanique.
M. LEBEDINSKY saisissant l'intérêt de cette question, spécialisa une équipe dans cette étude en même temps que la S.A.T. obtenait, en coopération avec une autre Société, un marché pour un prototype de commutateur électronique. La conception technique de ce commutateur en matière de points de connexion et de mémoires est actuellement à la pointe du progrès tout en restant d'une réalisation industrielle pratique et économique.
On pourrait énumérer encore bien d'autres réalisations que M. LEBEDINSKY marqua de son empreinte.
Citons les travaux pour télémesures et télécommandes spatiales, dans lesquelles les équipes S.A.T. apportèrent une large contribution ; mentionnons les développements des techniques de l'Infra-Rouge qui assurent à la S.A.T. une place de choix ; nommons enfin comme ultime réalisation de M. LEBEDINSKY, les équipements transistorisés enterrés qui sont les premiers en France à être montés sur le câble expérimental à petites paires coaxiales et paires symétriques à courants porteurs de la S.A.T. posé entre Marseille et Toulon.
Tels sont très brièvement présentés les apports précieux faits par M. LEBEDINSKY, à la technique des Télécommunications.
Mais on comprendra d'autant mieux leur genèse que l'on montrera leur rapport avec l'homme lui-même. Une œuvre est surtout l'expression d'un tempérament. Quelques aspects de celui-ci ont déjà été perçus. La personnalité apparaîtra dans toute sa richesse complexe, en découvrant certains autres.
Technicien, nous avons vu avec quelle passion il le fut. Ceux qui l'ont approché de près en ont gardé un souvenir ineffaçable.
Mais son caractère était aussi vigoureusement original.
Très réaliste, ennemi des phrases creuses et peu enclin aux engouements, malgré ses premières impulsions révélatrices d'une fougue mal contenue ; cette même imagination créatrice que nous avons toujours trouvée fidèle dans ses inspirations techniques le préservait, par les représentations exactes qu'elle lui donnait ensuite de tous les mirages que l'on rencontre souvent dans le royaume de l'Electronique. D'emblée, il se portait au centre. Et pour ce qui l'intéressait, son enthousiasme naturel se conjuguait au mieux avec une appréciation toujours exacte des moyens et des développements possibles.
Excellent connaisseur des choses, il savait aussi apprécier les hommes. Ses jugements portaient toujours sur l'essentiel.
Cette intelligence si vive allait de pair avec un tempérament qui la complétait bien. Ferme quand il le fallait, souple à l'occasion, toujours tenace et obstiné.
Une mémoire jamais en défaut était au service de son esprit. Tout restait exactement gravé et il pouvait ressusciter les événements anciens dans leurs moindres détails.
Il ne prêtait qu'une oreille assez distraite aux raisonnements bien alignés et aux syllogismes en cascade.
Descartes a-t-il jamais fait une découverte en appliquant sa propre méthode ? M. LEBEDINSKY procédait par bonds. Les non-habitués s'y perdaient quelquefois, manque de retrouver le fil conducteur. Lui, suivait toujours son idée.
De même surprenait-il par ses réactions qui jaillissaient brusquement et parfois loin de l'endroit où on les attendait. C'est que, de goût peu livresque, il trouvait ses délices dans le livre de la vie, le meilleur manuel qui soit lorsqu'il est interprété par une intelligence supérieure. Cette vie qu'il abordait sans autre intermédiaire, qui n'avait pas toujours été clémente, il l'appréciait d'instinct, lui rendant en amour ce qu'elle lui enseignait, tel l'élève qui témoigne d'un attachement reconnaissant à son éducateur.
Il était pourtant d'un premier abord assez réservé, méfiant même et attentif au moindre indice.
Mais dès qu'il avait la certitude de pouvoir faire confiance à quelqu'un, il faisait un don sans retour. Cet absolu que l'on retrouve dans ses amitiés, c'est toujours le même enthousiasme qui s'applique à des objets différents.
Sa sensibilité qu'il cachait très soigneusement et dont il paraissait même se défendre, éclatait cependant lorsque l'occasion le surprenait, puis il la refoulait aussitôt, craignant de s'être trop montré. Elle se manifestait toujours aussi vive envers les anciens de la S.A.T., ses compagnons qui, à quelque titre que ce soit, avaient participé à son œuvre et auxquels sa bienveillante sollicitude était toujours acquise.
Ces quelques traits, crayonnés plutôt que dessinés dans le détail, montrent que le technicien s'élevait facilement au niveau de Directeur. Il était en effet adjoint à la Direction Générale en même temps qu'il conduisait ses Laboratoires.
C'est dire que ses occupations étaient multiples et que les affaires qui le sollicitaient s'étalaient sur les plans les plus variés.
Lorsque les forces commencèrent à le trahir, tout autre que lui aurait cédé. Il résista jusqu'à la fin, soutenu dans sa lutte par le réconfort qu'il puisait dans son foyer, grâce aux affinités communes qui alimentaient la flamme et au dévouement inlassablement secourable qui lui adoucit ces heures ultimes où il sentait que tout glissait et s'écoulait. Nous nous inclinons bien respectueusement devant une telle abnégation fervente.
S'il est permis à celui qui a fait ce mémorial de quitter sa réserve et d'ajouter un mot personnel, il murmurera le regard perdu dans ce passé trop vite révolu :
"J'avais un camarade… Mélancoliques pensées chargées de souvenirs, que vos pâles rayons dans la nuit obscure refleurissent sa mémoire."
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