2 - SYMPHONIE !
Dans le cadre du CIFAS (Consortium Industriel Franco Allemand pour le satellite Symphonie), la SAT est retenue non seulement pour fournir le générateur solaire et le codeur de télémesure, mais aussi dans le cadre de sa participation à l’ensemble du projet :
- ·à établir une partie des spécifications détaillées,
- ·à procéder à l’approvisionnement global de certains types de composants électroniques,
- ·à fournir quelques membres de l’équipe d’intégration et de tests.
Ce projet est l’occasion d’un nouveau défi technologique. Ce satellite, stabilisé selon 3 axes, se trouve soumis à des éclipses de longue durée quand il se trouve dans l’ombre projetée de la Terre. Ses panneaux solaires voient alors leur température s’abaisser considérablement ; le cahier des charges prévoit de résister à un très grand nombre de cycles thermiques entre -175°C et +75°C.
La durée de vie prévue, de 5 ans, nécessite de prendre des précautions particulières pour les équipements.
Un autre défi est celui de la langue : les ingénieurs connaissaient suffisamment l’anglais pour rédiger les propositions et les documents contractuels à établir à l’occasion des activités spatiales européennes ou INTELSAT. Ils parvenaient tous, également à suivre et intervenir lors des réunions techniques. Avec le projet SYMPHONIE, se pose un problème particulier, puisque la totalité des documents doivent être disponibles en Français et en Allemand. Peu d’ingénieurs pratiquant la langue de Goethe, on doit faire appel à des traductrices, de part et d’autre, pour établir les kilos de papier prévus. Les traductrices font de leur mieux, mais comme elles ne sont pas des spécialistes, certaines traductions sont pour le moins curieuses. Ainsi les Français, avec leur esprit gaulois ne peuvent s’empêcher de sourire en lisant dans les documents relatifs à la sécurité électrique :
... même le doigt d’une femme, ne doit pas pouvoir se poser sur les parties dénudées…
Quant aux Allemands, ils s’esclaffent à propos du choix des composants électroniques, en lisant :
… Alle aktiven oder passiven Bestandteile sollen mit dem Schädlingsbekämpfungsmittel gegen die Flöhe bestreut sein
soit :
.. tous les composants actifs ou passifs doivent être saupoudrés d’insecticide contre les puces !
En ce qui concerne le générateur solaire, l’expérience acquise lors des projets précédents et en particulier D2 permet de qualifier notre technologie à l’issue de nombreux et longs essais puis de lancer la production des cellules ainsi que l’assemblage des panneaux. De nombreuses personnes furent impliquées :
- ·pour l’optimisation des cellules MM. Jacques ROGER, Pierre MORILLON, Patrick COLARDELLE,
- ·pour la production M. Roger GAUTIER et les ateliers de l’usine de Lannion,
- ·pour l’assemblage et les essais, MM. Alain CHABRILLAT, Alain MÉNÉGLIER, François SERRE et l’atelier d’assemblage de Paris.
Le codeur de télémesure, utilise les techniques mises au point pour les équipements précédents et notamment de TD1 pour la conception mécanique et la redondance des organes communs ou des mesures considérées comme « prioritaires ». Il comporte 93 accès analogiques, 5 accès numériques « série » et 124 accès "tout ou rien.
- ·un accès analogique est utilisé pour le prélèvement périodique d’une mesure présentée sous la forme d’une tension continue variant entre 0 et 5 volts.
- ·un accès numérique série est destinée à la lecture successive périodique des 8 bits d’information contenus dans un registre auquel est envoyé une commande de lecture et un signal de rythme de transmission.
- ·un accès tout ou rien est utilisé pour connaitre un état de type "Marche/Arrêt" représenté par une tension inférieure à 0.5 volt ou supérieure à 3 volts.
L’ensemble a deux modes de fonctionnement avec deux vitesses respectives : 8 et 64 bits/s. Il délivre un signal « PSK » pour modulation de la sous-porteuse.
Les exigences de fiabilité sont tenues tout en conservant une consommation minime : 2 W environ.
Les personnes impliquées dans les études électriques et mécaniques sont MM. Gérard BOELL, Guy CHAMPONNOIS, Pierre DROUOT, Jean-Louis LAVOISARD, Roland MOUSSON. L’assemblage est supervisé par M. Albert PRUDHOMME.
Le codeur de télémesure de SYMPHONIE Sous ensemble avant "moulage"
La présentation en recette se déroule en présence de MM. Maurice BOISSINOT, André GIRARD et Bernard MAUREL qui forment l’équipe qui participera à l’intégration chez les maîtres d’œuvres (AEROSPATIALE aux Mureaux et MBB à Ottobrunn) puis assisteront aux derniers préparatifs à cape Canaveral.
André GIRARD pendant l'intégration aux Mureaux
Embarquement du matériel pour cape Kennedy
Le satellite en cours de montage sous sa coiffe
Avec le lancement réussi puis le fonctionnement satisfaisant en orbite pendant 8 ans, la SAT atteint là l’apogée de son aventure dans les activités spatiales. Sa situation va rapidement se dégrader.
3 - La fin des activités "spatiales" de la SAT !
3 - 1 - Les satellites scientifiques
La SAT n’est pas retenue pour la fourniture du générateur solaire de TD1.
En 1973, l'ESA, nouvellement créée mise sur la poursuite en commun du développement du lanceur français ARIANE et décide de procéder aux lancements depuis Kourou. Les constructeurs européens du domaine spatial sont invités à constituer des groupements auxquels la maîtrise d’œuvre sera confiée : la SAT intègre le consortium COSMOS (COnsortium for Study & Manufacture Of Satellites) qui regroupe :
- AEROSPATIALE et SAT pour la France,
- MBB (Messerchmit-Bolkow-Blohm) et SIEMENS pour l’Allemagne,
- MSDS (Marconi Space & Defence Systems) pour la Grande Bretagne,
- ACEC (Ateliers de Construction Electrique de Charleroi) pour la Belgique,
- SELENIA pour l’Italie,
- CASA pour l’Espagne.
Ce consortium échoue pour le satellite GEOS, mais réussit pour METEOSAT. La SAT se voit à nouveau confier la réalisation du générateur solaire et du codeur de télémesure.
Enfin alliée à THOMSON pour participer au projet HELIOS de la NASA, la SAT n’est pas retenue.
3-2 - Les satellites de télécommunications.
Après INTELSAT IV et ses 6000 canaux, la COMSAT lance le projet INTELSAT V (12000 canaux). La SAT s’associe à LOCKHEED ELECTRIC pour répondre à l’appel d’offre et s’engage jusqu’à fournir une partie des cellules solaires et un codeur de télémesure de capacité réduite en état de fonctionnement pour équiper un modèle de « démonstration ». Malheureusement le marché est passé à un autre ensemblier.
Intelsat V (stabilisé 3 axes comme Symphonie)
3 - 3 Doit-on arrêter ?
L’avenir paraît alors incertain :
- ·lorsque le consortium COSMOS est retenu, le coût des prestations de l’AEROSPATIALE représente la quasi-totalité de la contribution française au projet et le principe du « juste retour » entraîne l’attribution des équipements électroniques aux ACEC (Belgique) ou à SELENIA (Italie),
- ·le procédé de fabrication des cellules solaires légèrement modifié par rapport à la licence SPECTROLAB (afin de minimiser les investissements initiaux) conduit à un rendement un peu faible donc coûteux car les rejets ne sont pas toujours utilisables pour les panneaux de signalisation lumineux.
- ·les déplacements en Europe et aux USA pour les démarches technico-commerciales, les réunions techniques, la fourniture fréquente d’échantillons technologiques, l’assistance aux clients, les moindres déchets en fabrication coûtent fort cher. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que les lourds investissements pour les salles blanches, les essais d’environnement entraînent des charges permanentes d’entretien et d’adaptation.
La direction se pose alors le problème de la poursuite par la SAT de ces activités spatiales, en raison du partage obligatoire des marchés, de l’importance des investissements nécessaires pour chaque projet, de la difficulté croissante des démarches techniques et commerciales (réponses aux appels d’offres, réalisations d’échantillons technologiques, voyages lointains).
Les différents programmes n’ont pas engendré de pertes et ont occupé ateliers et personnels de manière satisfaisante, mais n’ont jamais représenté plus de 4% du chiffre d’affaire de la SAT et, malgré le coût élevé des équipements et des prestations diverses sont demeurés à la limite de la rentabilité ; aussi, après 13 ans d’une activité que l’on peut qualifier de très "glorieuse", le problème de la continuité se pose vraiment.
La décision est prise de ne plus participer à de nouveaux projets dans ce domaine (cf. ci-dessous Notes complémentaires).
Nous en retenons cependant que nos équipements, générateurs solaires, télémesures, ont volés sur presque tous les satellites français, la moitié des satellites ESRO/ESA et sur deux importants programmes INTELSAT. LA SAT en a tiré une notoriété incontestable en France, en Europe et aux USA, plus d’ailleurs dans les milieux d’affaires internationaux que du côté du grand public, il est vrai.
Les laboratoires et les ateliers ont appris une rigueur dans le travail et dans l’organisation à travers les exigences de nos clients et la fréquentation d’autres grands industriels travaillant dans ce domaine.
Notes complémentaires
Les tentatives d’utilisation de cellules solaires pour d’autres utilisations n’aboutissent, à cette époque, que pour l’alimentation d’équipements de signalisation ou de transmission dans des endroits où l’alimentation par EDF pose problème (autoroutes en particulier) ; mais le marché est trop restreint (la SAT est trop en avance, et le pétrole est encore trop bon marché !) Dans ces conditions, après s’être assuré que l’État ne souhaite pas que la SAT conserve une activité indispensable pour l’indépendance de la France (CNES, Défense Nationale), il est décidé de ne plus faire d’effort dans le domaine spatial, ce qui bien entendu conduisit assez rapidement à l’arrêt des études et des productions dans ce domaine.
Les maîtres d’œuvre potentiels américainsdécident d’inclure directement des participants non américains dès le début des projets. mais la concurrence devient telle que certains n’hésitent pas à construire des "démonstrateurs" pour répondre aux appels d’offre de la COMSAT. C’est ainsi qu’associés à LEC (LOCKHEED ELECTRONIC COMPANY) la SAT construit un codeur de télémesure dérivé de celui de SYMPHONIE pour le projet INTELSAT V et participe (Michel BERNIERE, Claude GUYOT, Jean-Louis LAVOISARD) à la réponse à l’appel d’offre avec évaluation de la fourniture d’éléments du générateur solaire et du codeur. LEC ne sera finalement pas retenu par INTELSAT.
De leur côté les télémesures numériques des lanceurs et satellites tendent à se banaliser, à se muer en périphériques de calculateurs réalisables par beaucoup d’entreprises d’électronique. La production des cellules solaires tend à devenir déficitaire du fait que la totalité des procédés de fabrication de SPECTROLAB n’a pas été mise en adoptée. De nouveaux investissements ne semblent pas rentables en raison du partage des commandes entre un nombre croissant d’industriels dans le monde.
Quelques années plus tard de nouveaux codeurs de télémesure sont encore fabriqués pour les satellites METEOSAT 3 et 4. Enfin nos travaux dans le domaine des télémesures à structure éclatée, nous valent un marché d’études CNES/ESA relatif à un équipement à format variable permettant de capter des mesures dans les différents étages d'un lanceur puis du satellite en orbite. Le principe en fut utilisé ultérieurement, mais par d’autres constructeurs.