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Contribution de N°54 - Jean Louis LAVOISARD

 Poursuivi par le Vampire ...

 
Le Vampire dont il s'agit, c'est le premier chasseur à réaction conçu par le constructeur britannique DE HAVILLAND après la fin de la seconde guerre mondiale. Il fut construit en de nombreux exemplaires y compris en France, par la SNCASE sous le nom de Mistral. Environ 250 exemplaires au total équipèrent l'armée de l'Air française entre 1949 à 1960, avant de céder leur place aux "Ouragans" de DASSAULT.
 
 
 
Je n'ai jamais approché un "Vampire" à moins d'une dizaine de mètres et pourtant j'en ai un souvenir tenace qu'entretiennent, de temps à autres, des piqûres de rappel.
 
- 1 - Première rencontre (à 12 ans)
 
Des tests d'orientation professionnelle existaient déjà en 1946. La conclusion de mon "test" m'attribuait, certes, de bonnes possibilités intellectuelles, mais aussi une grande habileté manuelle. Le directeur de mon école, me conseillait d'y rester pour passer le certificat d'études, car il pensait, m'a-t-on dit plus tard, que j'avais beaucoup de chance d'être reçu le premier du canton ! Je n'ai donc passé le concours d'entrée en 6ème que grâce à l'insistance dont fit preuve l'entourage de mes parents.
Mais cette habileté manuelle, m'a conduit tout au long de ma vie à ne jamais hésiter à entreprendre des travaux délicats allant de la mise au point d'un "pistolet à pomme de terre" au bricolage domestique. Une grande partie des succès de ma carrière d'ingénieur reposent d'ailleurs autant sur mes capacités à la démonstration expérimentale qu'aux savants calculs ; cela explique mon choix de demeurer longtemps à la direction de laboratoires d'études.
Alors que j'étais élève au lycée Charlemagne à Paris, je remarquai dans une revue des photos de ce "Vampire" à fuselage bi-poutre, dont la forme nouvelle et élégante me séduisit. J'ai donc décidé d'en construire une maquette en bois. Ce fut un travail de longue haleine qui, compte tenu de l'outillage dont je disposais (scie égoïne, ciseaux à bois, râpes), me demanda de longues heures de râpage et de ponçage au papier de verre) avant d'obtenir un résultat convenable. Une fois la maquette terminée, je l'ai peinte avec de la peinture à tuyau de poêle (pour lui donner un aspect métallique !) puis soigneusement décorée, en prenant modèle sur les photos qui m'avaient inspiré.
Suspendue par un fil de nylon sous la tonnelle du jardin de mes parents mon "Vampire" avait une fière allure, qu'il conserva jusqu'à mon embauche au Centre d'Essais en Vol de Brétigny-sur-Orge après ma sortie de Supélec.
 

- 2 - J'en vois un vrai (à 15 ans)

 

Aux vacances scolaires de Pâques 1951, je pars chez mon correspondant anglais de Nottingham. Le voyage s'effectue en bateau et en train, jusqu'à Londres où m'accueille toute la famille. L'Angleterre veut à cette époque témoigner de son retour au rang de grande nation. Quoique la population soit encore soumise à un sérieux rationnement alimentaire, le pays a organisé le "Festival of Britain" et sont exposés à Londres, sur la berge sud de la Tamise, toutes les réalisations industrielles, scientifiques et culturelles affublées de moult "largest, highest, speedyest, heavyest, ..in the world !".
 
 -1- Vue aérienne  -2- Vue depuis la rive Nord
 -3- Le "Skylon"  -4- Le dôme des découvertes
 
 
Je participe donc à la visite du site, un peu intimidé par ce grand déballage. Et, dans un coin où trône la roue du Brabazon, le plus grand avion du monde (en fait de dimensions voisines de l'A300 ou du B767, il n'était prévu que pour 100 passagers), que vois-je "mon " Vampire ! Il me parait d'ailleurs bien petit, et je ne me souviens pas du tout du superlatif qui justifiait sa présence en ce lieu !
 
- 3 - On m'en parle sans dire son nom (à 22 ans)
 
Diplôme d'ingénieur en poche, je me suis fait embaucher au Centre d'Essais en Vol de Brétigny, en attendant d'être appelé sous les drapeaux. J'y travaille, au service Méthodes sur la mise en œuvre des équipements de télémesure. Un jour je monte sur la terrasse du bâtiment principal "CAMBOIS" pour remplacer l'antenne VHF utilisée pour la réception des signaux. J'y découvre un groupe de personnes entourant .. oui, il me semble que c'était le Shah d'Iran à qui l'on présentait le vol.d'un avion "télé-piloté". Il s'agissait d'un Nord 1100 (dans lequel se trouvait par sécurité un pilote). Renseigné, je regarde donc l'avion se poser puis revenir sur le tarmac. Au moment de s'immobiliser, une des roues du train d'atterrissage probablement mal verrouillé, se replie et cela ressemble fort à une révérence au visiteur ! On m'explique qu'il s'agit des essais d'un système de télécommande destiné à télé-piloté un avion à réaction. Curieux, je parviens seulement à savoir qu'il s'agit d'un essai préliminaire visant un autre avion et que ce sont les Établissements Jean TURCK qui fournissent le matériel de bord et les cabines de pilotage au sol.
 
- 4 - La loi du silence (22 à 24 ans)
 
Avant mon départ à Caen pour l’École des Officiers de Réserve, ma spécialisation "télémécanicien" au Bourget du Lac puis mon affectation à la Base École des Télécommunications à AUXERRE, j'ai pour compagnon habituel de voyage, pour le retour depuis le CEV jusqu'à PARIS / Porte d'ORLÉANS un ingénieur du Service Armement avec lequel nous parlons un peu de tout mais surtout de l'aventure spatiale naissante (Spoutnik, Luna, Explorer, le rat HECTOR, ..) Je ne connaissais ni son nom, ni quelles étaient précisément ses activités. Tous respectaient en effet une grande discrétion afin d'éviter que des projets militaires parviennent aux journalistes comme cela s'était produit plusieurs fois. Ces discutions reprennent lorsque désormais Lieutenant de Réserve et marié je réintègre le CEV.
Je n'ai découvert qu'il y a quelques années (cf. 7) qu'il s'appelait Roger LECLERCQ et qu'il travaillait à cette époque à l'adaptation puis à la mise en œuvre du téléguidage d'avions Mistral ou encore Vampire pour les transformer en cibles.
 
- 5 - J'apprends presque tout ! ( 25 ans)
 
Lors d'un examen médical à la Cité de l'Air, je vois pleurer un commandant de bord d'Air France lorsqu'il apprend que sa santé ne lui permet plus de voler ; je réalise ce jour là que la situation d'ingénieur navigant d'essais que j'envisage est en fait soumise à un parfait état de santé. Je décide donc d'embrasser une autre carrière dans l'industrie électronique. La SAT, avec laquelle je suis en contact, venant d'être choisie comme maître d’œuvre du nouveau système de télémesure AJAX, m'accueille bien volontiers dans ses rangs.
Je me trouve là, en charge de l'étude de divers équipements, installé dans un bureau que je partage avec Fernand FONTAINE. C'est l'ingénieur qui aux Établissements Jean TURCK et, maintenant à la SAT, a conçu une grande partie des équipements de télécommande pour avions et travaille alors pour la télécommande des hélicoptères. J'apprends donc que la SAT fournit des équipements utilisés pour télécommander les fameux "Vampires", des avions réformés depuis plusieurs années qui sont utilisés comme avions cibles, en particulier pour les essais à Colomb Béchar des missiles que l'on appelle encore des "engins spéciaux".
L'origine du projet, qui en était en charge, les détails d'utilisation, je ne l'apprendrai que plus tard.
 
 
 
 
<--------- cabine de télépilotage depuis le sol
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Pupitre de télépilotage   ------------->
 
 
 
 
 
 
                                                    
 
 
 
 Deux MISTRAL ou « Vampires » sur une base de l'Armée de l'Air
 
  - 6 - On m'en parle à nouveau ! ( 70 ans)
 
Passé des équipements de télémesure à la commutation téléphonique temporelle, puis à la direction scientifique et technique de la SAT, je reste un bon moment sans entendre parlé des Vampires. Et puis un jour, je me retrouve au sein d'un petits groupe d'anciens collègues, soucieux de faire perdurer le souvenir de la SAT, et bien décidés à raconter, l'extraordinaire histoire de ceux qui l'avaient créée et son incroyable évolution au long du 20ème siècle.  Connaissant bien Jean TURCK, par ailleurs l'un des initiateurs de ce projet, je me propose pour recueillir ses souvenirs de la "saga des Vampires" (côté industriel) et sur son conseil ceux de Michel BIGNIER, Ce dernier, aujourd'hui décédé, raconte comment, pour satisfaire le besoin de cibles volantes, il eut l’idée d’utiliser les avions à réaction Mistral, version française des Vampire britanniques, arrivés en fin de vie et stockés à Orange. Pour permettre, d’une part l’entraînement des pilotes, et d’autre part les essais des premiers "engins spéciaux" il fallait des cibles rapides et très maniables, que ne constituaient pas vraiment les CT10 ou CT20 à pulso ou statoréacteurs basés sur les V1 et V2 allemands.

Délestés du pilote et de l’armement, ces avions pouvaient constituer des cibles rapides et très maniables, à condition d'être télécommandés à partir du sol. Michel BIGNIER accepta gentiment de raconter la genèse du projet, la façon dont il le mena et les divers incidents assez drôles qui l'émaillèrent. Ses souvenirs sont intégrés dans l'ouvrage publié en 2008

Michel BIGNIER fut ingénieur militaire au CEV, puis devint par la suite directeur du CNES (1972-1976).Plus tard, à l’ESA (European Space Agency) il occupa successivement les postes de directeur du programme SPACELAB (1976-1980), puis directeur des systèmes de transport spatial (jusqu’en 1986). Président fondateur de l’IFHE (Institut Français d’Histoire de l’Espace) 

 - 7 - Les revoilà ! (79 ans)

Assurant depuis plusieurs années le rôle de secrétaire de l'Association pour le Souvenir de la SAT, j'ai pris en charge la mise en œuvre de son site internet "www.satsouvenir.fr". Je centralise donc tous les messages postés sur ce site.
Le 16 mai 2015, me parvient un message de M. Alain BOYAC, dont le père Jean BOYAC a participé à l'aventure des Vampires. Ayant découvert, sur notre site, le récit de Michel BIGNIER, il nous précise que son père sous-officier de l'armée de l'Air a fait partie de l'équipe qui mettait en œuvre les Vampires téléguidés sur la base d'Hammaguir de 1957 à 1962, puis est venu remplacer Roger LECLERCQ au CEV de 1963 à 1965.
A partir des films 16mm tournés à cette époque, un DVD a été réalisé et nous convenons donc d'échanger une copie de celui-ci contre un exemplaire de l'ouvrage consacré à l'histoire de la SAT.
 
 
J'ai informé Jean TURCK (dans sa 105ème année) que je détenais ce DVD et me tenait à sa disposition pour le lui présenter puisqu'il ne possède pas de PC !
Mais comme chaque année, il devait partir pour 2 mois dans sa maison familiale de Saint Jean de Mont.
Ce n'est donc que le 25 septembre, chez lui, que j'ai pu lui présenter sur mon portable les petites scènes vidéos montrant la préparation, le décollage, l'atterrissage et parfois la conduite au cimetière des Vampires téléguidés.
Le plus curieux de cette histoire est que Jean TURCK créateur des équipements de télécommande utilisés, n'avait jamais assisté lui-même a un vol téléguidé, pas même lors des premiers essais sur NORD 1100 à BRÉTIGNY.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Jean TURCK et Marc LIGER regardant les clips vidéos du DVD
 
Cette fois, je pense est la dernière où le Vampire parvient à me rattraper …

Voici quelques images extraites de ces films datant de cinquante ans !
 
 
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