Contribution de
18 - Louis-Joseph BAYLE La Téléinformatique à la SAT
Préambule
Comment expliquer qu'une activité nouvelle, la téléinformatique, ait pris, en si peu d'années, une telle importance, justifiant même la construction d'une usine pour fabriquer ses produits ? Comment comprendre que, partant d'une activité, la télégraphie où 50 « informations » étaient transmises par seconde, les derniers matériels fournis aient pu atteindre, en aussi peu de temps, des débits de 19450 informations par seconde en 1994 ? *
En fait, l'évolution des modems a suivi de près l'évolution des calculateurs. Leurs encombrements et leurs prix n'ont cessé de diminuer en même temps que s'accroissaient leurs performances.
Comment a-t-on pu suivre cette évolution, y participer par la définition des matériels et prendre une place prépondérante de leader en France (35 % du marché) et en Europe (16%) en 1987 ?
C'est aux réponses à ces questions que les lecteurs sont conviés.
Qu'il nous soit permis d'évoquer, ici, les noms de MM. CLAISSE et MITRANI qui furent à l'origine de cette activité, ainsi que toute leur équipe qui, par ses compétences, son dévouement et par sa volonté de toujours aller de l'avant, a permis une telle aventure.
NDLR : Il ne s’agissait, en fait, que d’un début puisque 15 années plus tard ce sont des millions d’informations par seconde qui sont transmis sur le réseau Internet !
Les débuts de la Téléinformatique
Lorsque qu'apparurent sur le marché les premiers calculateurs, le besoin de les relier à des terminaux ou à des calculateurs distants, se fit très vite sentir. Le moyen le plus simple fut d'utiliser le réseau téléphonique existant, quitte à sélectionner, dans un premier temps, les lignes présentant les meilleurs caractéristiques.
Aussi dès 1960, des maquettes transportables furent réalisées pour tester les capacités du réseau téléphonique à acheminer ces informations.
Ce fut le travail des précurseurs et en particulier celui de Claude CHILARD.
Pour transmettre les informations numériques (suite de " 0 " et de " 1 " ) délivrées par cette nouvelle gamme de matériels, il a fallu créer des convertisseurs permettant de les acheminer sous forme analogique sur les lignes téléphoniques : ces derniers furent dénommés : Modulateurs-Démodulateurs ou plus couramment : modems. Le modem se caractérise par le débit du train numérique qu'il est capable de transmettre en ligne : nombre d’informations par seconde : par ex. 1200 bits par seconde, le bit (contraction de binary digit) étant l’élément d’information.
En 1962, le premier modem 1200 bit/s commençait à fonctionner en modulation de phase. Il utilisait un procédé breveté par Jacques CLAISSE consistant à inverser de 180° la phase d’une porteuse chaque fois qu’un bit de poids 1 se présentait à l'entrée du codeur. Par ailleurs, un dispositif de codage était interposé à l’entrée du modem pour casser les longues suites de 0 fournies par le terminal. En sortie du démodulateur, un dispositif de décodage faisait l’opération inverse.
A ce stade, il semble souhaitable de rappeler brièvement le fonctionnement d’un modem synchrone, car nous retrouverons ces différentes fonctions dans la plupart des modems. A l’émission, les informations à transmettre par le terminal auquel est raccordé le modem, sont fournies sur un fil de la jonction alors que sur un autre fil, des signaux d’horloge indiquent à quelle fréquence les informations sont à échantillonner. Les données, après un éventuel codage, permettent de moduler en amplitude, en fréquence ou en phase, selon la technique retenue, une porteuse (cette dernière étant dans la bande de fréquence 300 – 3400 Hz, souvent proche de 1800 Hz).
La première difficulté consiste à limiter les différentes fréquences représentant le signal après modulation (le « spectre » à transmettre) à l’aide de filtres. Un complément de filtrage permettant d'atténuer le bruit en ligne doit être inséré à l'extrémité distante à l'entrée du démodulateur. Il est apparu, en effet, que les lignes téléphoniques étaient affectées de défauts très gênants pour les transmissions de données (distorsion d’amplitude et de phase, bruits) qui rendaient très difficile la restitution des données à l’autre extrémité. Aussi avait-on intérêt à limiter au minimum le spectre transmis sans toutefois supprimer les raies utiles à la démodulation. De plus, cela limitait le niveau des bruits toujours présents en ligne. Nous déterminions le gabarit des filtres et Philippe ALLEMANDOU, notre grand spécialiste, s'efforçait de les calculer. De plus, les filtres en question devaient assurer une rotation de phase linéaire en fonction de la fréquence (temps de groupe constant). Par bonheur, le STTA nous avait prêté un appareil ACTON pour faire ces mesures. Il n'utilisait pas cet appareil américain et nous comprîmes après pourquoi. Mais, vous pouvez en parler à MM BAYLE ou TRILLAUD, cette mesure était très éprouvante car les différents réglages propres à déterminer un correcteur de temps de groupe réagissaient les uns sur les autres et il fallait beaucoup de persévérance pour arriver à trouver une solution à peu près satisfaisante.
La seconde difficulté est de restituer, à l’aide d’une horloge réception synchronisée sur l'horloge émission distante, un signal de rythme qui soit l’image du signal de cadencement de l’émission et qui permette au récepteur de données d'enregistrer au fur et à mesure les données présentes à la sortie du dispositif de décodage du modem.
Les performances du premier modem, étudié par MM. MITRANI et CHILARD, étaient très encourageantes ; il arrivait à point nommé pour répondre à l'appel d'offres qui s'annonçait.
Centre d'Essais des Landes: notre première grande commande....
Parallèlement à ces études, la SAT avait en effet répondu à un appel d’offres pour les transmissions de données au Centre d’Essais des Landes (CEL). Notre regretté patron (Moni MITRANI) ne fit pas moins que de nous apporter la commande dans sa corbeille de mariage ! Nous apprîmes donc, le jour de son mariage, en juin 1963, que nous étions retenus. Ce marché qui portait sur une centaine d’exemplaires déclencha le véritable départ de la téléinformatique à la SAT.
Le CEL était chargé de superviser en vol les trajectoires des fusées. Il était donc nécessaire de fournir, en temps réel, au Centre de Calcul situé à Biscarosse, les informations délivrées par les différents capteurs responsables du suivi des trajectoires. Ce dernier devait les reconstituer avec précision pour permettre de prendre immédiatement les décisions qui s'imposaient.
Le matériel à fournir était constitué :
· d'Unités d'Adaptation Emission (UAE) dont le rôle était de prélever auprès des différents appareils de mesure (radars, cinéthéodolite, etc...) les informations à transmettre et de les incorporer dans des messages qui seraient présentés au modem coté émission,
· des Unités d'adaptation Réception (UAR) permettant, à partir des informations fournies par le modem coté réception, de restituer au Collecteur de Données du Centre de Calcul les informations délivrées par les appareils de mesure. Les messages présentés au modem étaient formés, à l'émission, d’un en-tête suivi des éléments d'information fournis par la source et de 16 éléments de contrôle obtenus à l'aide d'un code cyclique. A la réception, les Unités d'Adaptation Réception étaient chargées de d'indiquer si la transmission s'était effectuée sans erreur(s) due(s), par exemple, à la présence de bruits en ligne. Ainsi le Collecteur de Données pouvait déterminer s'il s'agissait d'un point erroné sur la trajectoire de la fusée qu'il était en train de tracer. (Une utilisation semblable des codes cycliques nous est fournie aujourd'hui dans la vie courante. Notre numéro de Sécurité Sociale est toujours suivi d’une clé égale au nombre à 2 chiffres qu’il faut ajouter à celui formé par les treize chiffres précédents pour obtenir un multiple de 97),
· des modems émission ou réception,
· outre les alimentations, des dispositifs simples de maintenance permettant de tester la liaison,
· des valises de maintenance beaucoup plus élaborées permettant de se substituer aux Sources et aux Collecteurs de données et donc de tester complètement les liaisons.
Le matériel était regroupé dans des coffrets près des appareils de mesure et dans des armoires au Centre de Calcul. L'ensemble devait être opérationnel dans un délai très court de 12 mois.
Compte tenu de ce délai et du volume des études et des différents matériels à fabriquer et à contrôler, des dispositions spéciales s'imposaient :
· tout d'abord, sur le plan des effectifs, différentes personnes furent adjointes au groupe 18, comme par exemple, Jean-René BERLAND dont la première contribution fut de s'attaquer au problème des codes cycliques,
· pour diminuer les charges de câblage, des boitiers Transco furent utilisés pour réaliser les différentes fonctions logiques (bascules, portes, fonction modulo2). Des boîtiers de même nature furent étudiés et développés lorsque leur nombre était suffisamment important pour justifier leur étude et leur développement (par exemple bascules fonctionnant à une fréquence plus élevée, amplificateurs permettant d'obtenir des signaux carrés à partir de signaux analogiques),
· de nombreuses personnes de la section 6 (et en particulier des câbleuses) nous furent affectées en priorité,
· pour faciliter le contrôle, l'équipe des chantiers chargée d'installer le matériel sur le terrain fut mise à contribution. Et lorsque les armoires et coffrets commencèrent à sortir, nous proposâmes au personnel du CEL de participer directement au contrôle. Si bien que, lors de la recette, ces contrôleurs ne faisaient que vérifier leur travail.
Toutes ces mesures et bien d'autres ainsi que l'ambiance excellente qui régnait au groupe 18 nous permirent d'honorer à temps notre première grande commande. Cette dernière fut d'ailleurs suivie quelques années plus tard de celle du Champ de Tir de la Méditerranée (CEM).
Le modem SOTELEC 600/1200 : premier modem normalisé !
Très vite, le développement de la Téléinformatique fit ressortir la nécessité absolue de disposer de matériels qui seraient compatibles les uns avec les autres. Le CNET et les différents constructeurs regroupés au sein de SOTELEC étudièrent et définirent les caractéristiques du premier modem normalisé qui fonctionnait à 600/1200 bit/s. Ces études se basèrent sur les premières recommandations internationales qui étaient élaborées à Genève par le CCITT : Comité Consultatif International Télégraphique et Téléphonique. Il était primordial pour nous de participer à la définition de ces nouveaux matériels dont les caractéristiques étaient regroupées sous forme d'Avis. Aussi, dès le début, nous avons participé à ce comité chargé d'élaborer les futures normes des appareils de transmission de données.
Ce modem, étudié par Jean René BERLAND, utilisait une modulation par déplacement de fréquence. Cette modulation était basée sur les passages à zéro de la porteuse. Le signal pouvait être amplifié jusqu'à la saturation dans la mesure où les passages à zéro étaient respectés. Ceci permettait de s'affranchir de la distorsion d'amplitude de la ligne. C'est, à l'occasion de cette étude que fut défini également l'avis V24 relatif à la jonction entre le terminal et le modem.
Le réseau SNCF de transmission de données
Pratiquement à la même époque, nous avons été retenus par la SNCF pour fournir le premier réseau multipoint couvrant l'ensemble du territoire national. (Ceci permit à la SNCF de connaitre avec précision l'emplacement exact de son parc de wagons et d'éviter, ce qui était, parait-il courant à l'époque, qu'un chef de gare stocke tout le long de l'année des wagons pour être sûr d'en disposer quand le besoin s'en ferait sentir, pour la récolte des artichauts, par exemple !) Les lignes du réseau avaient une bande de fréquences utiles relativement étroite. Aussi fut-il nécessaire d'étudier un modem particulier qui fut un de nos derniers modems ne respectant aucun avis du CCITT. Jacques CLAISSE demanda à Louis-Joseph BAYLE d’analyser les contributions au CCITT afin de faire quelque chose d'original ; nous prîmes d'ailleurs à cette occasion un brevet. La fourniture des modems se termina par une série de cours pour permettre aux responsables du réseau d'en assurer le bon fonctionnement, ce qui fut très apprécié à l'époque.
Le premier modem à 2400 bit/s
L'étude de ce modem qui permettait de doubler le débit en ligne se heurta très vite à un difficile problème de filtrage. La zone qui permettait en sortie de la démodulation d'échantillonner le signal (l'œil) restait désespérément fermé, ce qui interdisait tout fonctionnement en présence de bruits en ligne. Les jours passaient.....la solution fut trouvée par hasard par L-J BAYLE, en lisant le livre de BENNET, le grand spécialiste américain des modems. Dans un petit alinéa, il indiquait que les calculs de filtres se faisaient en utilisant une impulsion de DIRAC (très fine, mais d'énergie infinie) alors que, dans la réalité, les filtres sont sollicités par des impulsions larges, d'une durée d'un bit au minimum. Il fallait donc introduire un facteur en sinx / x ! Le filtre que nous calcula Ph. ALLEMANDOU fit merveille et l'œil s'ouvrit totalement. Cette amélioration fut aussi introduite au niveau des faisceaux hertziens.
Ce modem s'avéra par la suite très performant. Il nous permit de répondre à l'appel d'offres que préparaient les militaires.
Le STICAR
L’état-major des Armées s'était mis en quête d'un système permettant le transfert des données entre les différents centres de commandement. Etant donné l'éventail très large des lignes sur lesquelles ces informations devaient transiter, (lignes de qualité souvent très moyennes et de plus bruyantes), l'accent était mis d'une part sur la capacité des modems à tolérer ces imperfections et d'autre part sur l'utilisation d’un système de transmission capable de restituer sans erreur les informations. L'en-tête de l'étude tenait en 3 lignes. Cette fois-ci, il s'agissait non seulement de détecter les erreurs mais aussi d'être capables de les corriger. Jacques CLAISSE imagina avec L-J BAYLE qu'une solution pouvait exister, en intercalant les données dans des blocs numérotés 1,2,3,1,2,3... ; une voie de retour à basse vitesse indiquant si les blocs avaient été reçus sans erreur. Dans le cas contraire, la gestion des numéros des blocs devait permettre de demander la répétition des blocs entachés d'erreurs. De plus, cela permettrait de restituer les données dans l'ordre dans lequel elles avaient été fournies. Compte tenu des délais de propagation de la voie de retour, 3 numéros devaient suffire.
Côté système de transmission, nous avons choisi un système de transmission par blocs de 192 éléments d'information, précédés de 2 octets de synchronisation suivis d'un numéro variable. Les 192 bits + les 8 bits du numéro étaient protégés par un code cyclique de degré 16 (directement déduit de celui que J-R BERLAND avait étudié pour le CEL). A l'émission, les blocs étaient transmis successivement si tout se passait bien suivant la suite 1,2,3,1,.....Un voie de retour fonctionnant à 75 bit/s était utilisée pour renvoyer l'acquis des blocs reçus. Coté émission, un dispositif logique gérait la suite des numéros en fonction des indications reçues sur la voie de retour pour réémettre, si-nécessaire, les blocs reçus erronés. Coté réception, une logique très sophistiquée s'assurait que les informations envoyées vers le collecteur de données ne comportaient aucune erreur et respectaient l'ordre dans lequel elles avaient été émises. Pour faire les essais de validation, nous faisions des coupures aléatoires de ligne permettant de perturber les messages au niveau des différents octets, en particulier dans les zones de numérotation, de données et de contrôle. Nous utilisions en particulier de grosses râpes pour créer des étincelles... Les résultats furent très satisfaisants; néanmoins il subsistait généralement une erreur par période de 24 heures. Dieu merci, un jour en prenant un pot avec M. DAGES, l'ingénieur du STTA qui suivait l'affaire, ce dernier posa à L-J BAYLE une question à laquelle il ne put répondre immédiatement. En rentrant chez lui le soir, ce dernier avait trouvé la solution et l'erreur journalière cessa d'apparaitre...
La compétition fut très vive entre la SAT et TRT qui proposait une solution de contrôle par caractères. Chaque caractère était protégé par 2 bits. Un tel système permettait, si on créait une perturbation tous les 2 caractères par exemple, de continuer à transmettre (mais avec quel rendement) des informations. Par contre, la capacité de détection d'erreurs était très réduite par rapport à celle d'un code cyclique .De plus, une telle répartition du bruit en ligne ne semblait pas du tout réaliste. Le STTA choisit la solution par blocs mais il fallut ensuite créer un groupe de travail SAT-TRT-CIT pour pouvoir continuer. Ce groupe présidé au début par TRT se réunissait à intervalle fixe chez TRT. En tout début de séance, immanquablement le président de séance se faisait appeler par sa secrétaire, ce qui fait que l'étude ne progressait pas.
Au bout de 2 ou 3 séances, le STTA confia la présidence du groupe à M. Roger RUMEAU qui, tout au long de cette épopée, ne nous a jamais ménagé ni son aide ni ses encouragements, ce dont nous devons lui être reconnaissants. A partir de ce jour là, tout avança rapidement et le système par blocs fut définitivement choisi par le STTA. La phase suivante fut d'arriver à faire adopter par la Marine le nouveau système. Nous fûmes cette fois opposés à THOMSON qui défendait aussi un système par caractères. Tout se termina rue de la Pépinière dans les bâtiments de la Marine. THOMSON avait préparé plusieurs lignes dont les caractéristiques nous étaient inconnues. Par contre, ils avaient prévus un correcteur de ligne qui devait permettre à leur système de fonctionner. Malheureusement pour eux la grande tolérance de notre modem et la supériorité du système par blocs fit que, là aussi, nous pûmes déjouer tous les pièges tendus et si à l'époque THOMSON avait pris le contrôle de SAT, l'avenir du responsable de l'étude était tout tracée : une porte grande ouverte......Mais le plus beau de l'histoire, c'est que sur la centaine d'extémités qui ont pris place, au niveau des 3 armes, à Taverny, à Houilles nous n'avons jamais entendu parler d'elles et pourtant nous sommes resté plus de 30 ans à la SAT. Ce système fut baptisé sous le beau nom de STICAR / Système de Transmission des Informations Codées des ARmées.
Le modem full-duplex 2x1200 bit/s Telsat 2424
A cette époque, d'autres ingénieurs, en particulier Jean-Marc COLIN DE VERDIERE et Georges BAUDOUIN ainsi que Jean-Bernard PINTAUX étaient venus renforcer les deux groupes que MM BYLE et BERLAND dirigeaient, dans le département de Moni MITRANI. Un nouveau besoin apparut chez nos clients : celui d'un modem qui permettrait d'envoyer des données simultanément dans les deux sens de transmission. Jean-Marc COLIN DE VERDIERE fut donc chargé d'étudier ce premier modem full-duplex. Compte tenu du débit de 1200 bit/s l'Avis du CCITT correspondant recommandait de partager en deux la bande passante téléphonique grâce à des filtres. Ce modem connut un succès d'autant plus grand que nos concurrents avaient sous-estimé ce créneau. Il permit entre autre d'équiper les réseaux du PMU et de MONOPRIX.
Les modems 9600 bit/s Telsat 1000 et 1030
A ce stade, le lecteur peut à juste titre se demander par quel miracle nous étions passés d'un débit de 2400 bit/s à un débit quatre fois plus élevé. Comme nous l'avons vu précédemment, c'est la bande passante de la ligne qui impose la limite. Aussi très vite, dès 2400 et à fortiori 9600 bit/s, les éléments à transmettre ont été groupés en 2 (dibit) ou en 4 (quadribit). Pour augmenter les performances vis à vis du bruit en ligne, la modulation de phase fut combinée à une modulation d'amplitude, permettant de séparer au maximum les zones de détection. Ainsi les changements de phase de la porteuse en ligne se faisaient au même rythme que sur les premiers modems à 2400bit:/s. Par contre, le traitement du signal après démodulation était beaucoup plus difficile, étant donné qu'il fallait choisir par exemple entre 16 combinaisons pour un modem à 9600 bit/s. L'étude du modem Telsat 1000 démarra sur un procédé original et permit de présenter au CCITT une contribution indiquant les résultats obtenus. L'Avis qui définissait le futur modem se rapprochait au maximum de la meilleure contribution, ceci pour éviter qu'une société n’ait trop d'avance sur ses concurrents.
A l'occasion de l'étude de ce modem, des progrès furent accomplis, en particulier dans la technique de synchronisation de l'horloge réception. C'est à l'occasion d'une visite qu'il faisait chez nous que Jacques BOULIN nous suggéra d'accroître la stabilité de l'horloge en y ajoutant un effet de volant comme on ferait en mécanique .Ceci fut réalisé en utilisant un registre dans lequel un marqueur (bit de poids '1') se déplaçait selon les corrections successives à effectuer. Quand il sortait à l'une des deux extrémités du registre, le sens de la correction à faire sur l'horloge (avance ou retard) était pratiquement sûr.
Les réseaux polling : le modem Telsat 830
Parallèlement à ces études, L-J. BAYLE se vit confier l'étude d'un modem à 4800 bit/s conforme au nouvel Avis V27. Un tel modem permettait la constitution de réseaux à polling, très en vogue à l'époque. Dans un tel réseau, un modem maître, situé près du calculateur central interroge tour à tour des stations éloignées pour collecter leurs informations. Dès qu'ils avaient reconnu leur adresse propre, les modems distants répondaient. Le modem placé près du calculateur devait donc être capable de synchroniser très rapidement son horloge sur le modem distant qui répondait afin d’augmenter la fréquence d'interrogation des stations distantes.
La solution existait puisque nous savions que notre concurrent TRT avait déjà un prototype qui fonctionnait et, chose très importante, que ce modem avait un volume normal. Malheureusement tous nos efforts restaient vains. C'est alors que L-J. BAYLE utilisa un conseil qu'il avait lu dans une revue US qui préconisait d'écrire sur une feuille de papier les différentes idées, même les plus farfelues, qui se présentaient. Patrick PAYNE qui l'aidait dans cette étude, fut chargé de les vérifier. Mais, à la fin de la liste, aucune solution n'avait été trouvée. Sans se décourager, ils reprirent ensemble la liste et au bout de quelques essais, le problème fut résolu. Tout simplement, une recopie du signal, lors de la séquence de synchronisation, permettait de synchroniser l'horloge. Si un bruit malencontreux survenait à cet instant, faussant complètement la correction, un dispositif simple analysant les deux ou trois corrections suivantes permettait de s'en apercevoir et de rétablir la bonne correction. Ainsi, il n'était plus nécessaire d'utiliser des quartz de grande stabilité et toute la lourdeur d'une telle solution.
Le modem full-duplex 2 x 4800 bit/s Telsat 4840.
Cette étude qui fut principalement menée par MM PINTAUX et BAUDOIN, marqua une nouvelle étape. Aux difficultés précédentes, s'ajoutait le traitement des échos locaux et lointains, phénomènes que l'on observait couramment il y a quelques années dans les conversations téléphoniques. La solution de partage en fréquence de la bande n'étant plus possible, il était nécessaire de faire appel aux nouvelles techniques de traitement du signal. Le signal analogique était échantillonné et les différentes opérations de filtrage, de modulation, de démodulation, d'annulation d’écho réalisées sur ces échantillons. Les difficultés étaient nombreuses : choix de la fréquence minimum d'échantillonnage, choix des arrondis pour mesurer les échantillons, dimensions et structure de l'annuleur d'écho..... Déjà, à cette époque, nous avions essayé de collecter quelques informations, lors de nos déplacements aux USA. Un certain M. NORDLING nous conseilla de prendre contact avec un ingénieur de chez NOKIA. A l'époque, cette firme fabriquait des modems destinés aux pays de l'est. Ce qui nous frappa à première vue fut la robustesse et la lourdeur de leurs fabrications. Très gentiment, notre correspondant qui était chez NOKIA le responsable du traitement du signal, avait cru bon de prendre contact avec nous lors d'une séance de sauna. MM BAYLE et PINTAUX y assistèrent, M. MITRANI ayant décliné poliment l'invitation. Bien qu'il ait demandé de garder un certain taux d'humidité, la séance fut un peu éprouvante et nous avons pensé que vraiment nous étions en position très nette d'infériorité. Néanmoins Jean-Bernard PINTAUX posa ses questions avec beaucoup de sérieux........ A la fin du sauna, nous fûmes conviés à traverser une piscine bien froide et à déguster une bière qui nous parut infiniment délicieuse. Jamais de leur vie, nos deux compères ne se sentirent en meilleure forme physique.
Une question en passant
Un jour que nous parlions « musique » avec J-B. PINTAUX celui-ci expliqua que ce qui lui plaisait dans le violon, c'est qu'il fallait faire naître le son. Ce qui rejoint la phrase de PEGUY où ce dernier fait parler plusieurs cantonniers dont le dernier lui dit, en parlant de ce métier dur et ingrat : moi, je construis des cathédrales.....et, nous tous, artisans de ce développement de la téléinformatique, n'avons nous pas apporté notre pierre au besoin croissant des hommes d’échanger des informations !
Pour mener à bien une telle étude, des microprocesseurs en tranches furent utilisés. En combinant en parallèle ces tranches, un jeu d'instructions de 48 bits fut défini. Ainsi, il devint possible en 1/2400 ème de seconde de réaliser les différentes opérations de traitement de signal nécessaires. Inutile de préciser que le travail de cette équipe fut long et délicat car le maniement des tranches nécessitait de connaitre parfaitement outre les traitements numériques, les timings, et d’acquérir tout un savoir-faire au niveau des stations de travail permettant de programmer les mémoires. Ce modem prit place dans les nouveaux coffrets que nous avions définis pour le modem 2x1200 bit/s. Le cœur du modem, soit toute la partie intelligente où s'effectuait le traitement du signal, occupait 3 cartes. De plus, compte tenu de la dissipation des microprocesseurs en tranche, une étude thermique avait due être entreprise. Les premiers modems donnèrent toute satisfaction à nos clients jusqu'au jour où l'un d'eux, peut-être par oubli, ne coupa pas l'alimentation du modem en partant le vendredi soir. Le lundi matin, plus rien ne fonctionnait. Bien entendu, si on remettait sous tension, tout repartait normalement.
Ce type de modems faisait appel à des égaliseurs automatiques qui s'ajustaient en permanence aux caractéristiques de la ligne. Elle était bien loin l'époque de l'ACTON et de ses réglages interactifs qui permettaient de réaliser un correcteur. Des échantillons étaient prélevés à différentes fréquences et un traitement approprié modifiait la valeur des coefficients pour obtenir un résultat constant. Malgré tous nos efforts, la cause du dérangement demeurait introuvable. Nous prîmes contact avec le laboratoire de Mme MACCHI spécialisé dans le traitement numérique. Quelle ne fut pas notre surprise quant au remède qu'il préconisa : injecter un peu de bruit à l'entrée du modem : du bruit, l'ennemi juré des transmissions de données ! C'était pourtant la bonne solution : car si, pour une fréquence déterminée la valeur de l'échantillon était nulle, le gain résultant prenait une valeur infinie, (pour obtenir un produit constant) ce qui entrainait la divergence de l'égaliseur et partant le fonctionnement défectueux du modem ! L'injection d'une faible dose de bruit blanc permit de corriger le défaut, en assurant toujours une valeur finie au gain.
L'achat des cœurs de modem
La fabrication de modems avait pris une telle ampleur qu'une nouvelle usine avait été crée à Bayonne pour répondre suffisamment vite aux besoins du marché. Dès qu'un nouveau modem était sur le point de sortir, les responsables de l'étude descendaient à Bayonne pour le présenter. De plus, depuis quelques années, une conférence mensuelle réunissait les principaux intéressés, et ceci dans les différentes disciplines de façon à prendre en compte, le plus tôt possible, leurs souhaits, et de les prévenir des futurs matériels. Au cours de ces réunions, l'état d'avancement de chaque matériel était évoqué et le responsable direct de l'étude appelé pour des éclaircissements éventuels. Elisabeth BONNET assurait avec beaucoup d'efficacité la rédaction des comptes-rendus où étaient portés les indications des tâches à accomplir, le nom du responsable et les délais.
L'étude du modem utilisant les microprocesseurs à tranches avait mis en évidence deux points essentiels :
· nous avions au sein de nos équipes le savoir-faire indispensable,
· la lourdeur de toute solution faisant appel à ces microprocesseurs, au moins dans leur état actuel de développement.
La solution s'imposait : il fallait absolument développer des circuits intégrés assurant les fonctions principales des cœurs de modems. Malheureusement, un tel développement, outre le temps qu'il nécessitait, supposait un marché très important pour amortir les études. (de l'ordre de 300.000 exemplaires, alors que notre marché était de l'ordre de quelques dizaines de milers d'exemplaires). La décision fut prise de rechercher aux USA une ou plusieurs sociétés capables de nous fournir ces circuits. Elles nous imposèrent bien évidemment de commander la ou les cartes constituant le cœur de modem. ROCKWELL nous fournit les cartes qui permirent à J-M. COLIN DE VERDIERE de développer le modem 2400 bit/s full-duplex. G. BAUDOIN fut chargé de définir avec la société PARADYNE une nouvelle génération de modems 4800 et 9600 bit/s, la SAT étant bien entendu responsable de tout l'environnement du cœur du modem fourni. Mais nous avons mis notre point d'honneur à toujours apporter à PARADYNE quelque chose, à la différence de leurs autres clients qui se contentaient de commander le matériel. Aussi quand l'équipe SAT arrivait, elle était très bien accueillie et respectée. D'ailleurs, un jour Lionel BUTIN, qui n'était pas encore ingénieur maison, fit remarquer à leur grand spécialiste analogique que le filtre dont ils parlaient, devait aussi couper les harmoniques d'ordres impair, en particulier l'harmonique d'ordre 3. L'américain, dubitatif, quitta la salle pour aller dans son labo tirer une photo. En revenant, il dit seulement à L. BUTIN : « You're right ! » Une autre fois, où pour une question de visa L-J BAYLE était arrivé avant MM. BAUDOIN et DUCLOS, l'ingénieur commercial qui l'avait invité à dîner lui demanda si, le lendemain, tous seraient intéresséspar aller faire un tour en bateau. Par politesse, M. BAYLE 'accepta, n'ayant pas saisi exactement de quel type de bateau on parlait .Quelle ne fut pas notre stupéfaction quand nous fûmes à bord d'un superbe voilier de 12 m. qui était amarré au pied de la villa du chef de département. Nous fîmes une petite virée de quelques heures dans le golf du Mexique Nous fumes ravis, surtout ceux qui n'étaient jamais montés à bord d'un voilier, et la suite se passa au mieux. .En fait, quand PARADYNE avait embauché ce responsable, ce dernier qui était un fin navigateur, se logea sur son bateau. A la vue de sa grande compétence, PARADYNE s'arrangea pour le retenir et lui fit construire une villa près de son ponton !
Alors, direz-vous, pourquoi alors que nos équipes étaient aussi appréciées par le savoir qu'elles amenaient (il n'était pas question en effet que les échanges se fassent en sens unique, ce qui était beaucoup plus valorisant), pourquoi avoir continué avec FUJITSU ! En fait l'approche de ces derniers était beaucoup plus intéressante, car les cœurs de modems qu'ils livraient, respectaient toujours la même interface alors qu’avec PARADYNE, il était nécessaire de reprendre en partie les cartes de jonction, ce qui prenait quelques mois. En utilisant les composants FUJITSU présentant la même interface, quelque soit le débit du modem, le nouvel appareil était prêt en quelques jours. Ce fut la raison principale pour quitter PARADYNE. Malheureusement, cette nouvelle coopération très fructueuse cessa à son tour quand FUJITSU abandonna ce secteur d'activité. Mais ils avaient tellement apprécié eux aussi G. BAUDOIN qu'ils nous firent pratiquement cadeau des dernières fournitures et lui firent cadeau d'un superbe écran qui prit place dans la grande salle d'honneur de SATELCOM.
Le modem full-duplex 9600 bit/s
A cette époque, des microprocesseurs présentant la même architecture que les microprocesseurs en tranches apparurent sur le marché. Une fois de plus, nos équipes purent utiliser leur savoir-faire pointu pour les programmer et recommencer ainsi à réétudier les cœurs de modems, apportant à nouveau toute leur valeur ajoutée à ces fabrications. Cette nouvelle technologie fut bien entendu, retenue pour ce modem. Elle permettait de diminuer considérablement le nombre de cartes du modem. Par contre, la complexité de l'étude était telle que M. MITRANI décida de faire une réunion systématique chaque semaine pour faire le point de son avancement. Simone HERVELON, notre dévouée secrétaire fut chargée de la rédaction des comptes-rendus de ces réunions. Comme le niveau était très technique, L-J. BAYLE chargé de la relecture se rendit très rapidement compte qu'il était urgent de lui expliquer la signification du langage barbare que nous utilisions. A l'aide d'analogies bien choisies, elle fit très rapidement des progrès considérables et la correction des comptes-rendus en fut très simplifiée. Quel dommage de ne pas en avoir fait bénéficier d'autres personnes en notant ces analogies au fur et à mesure qu'elles étaient trouvées!
La suite des modems
Une telle politique d'acquisition des cœurs de modem porta pleinement ses fruits, ce qui nous permit en 1987 de devenir leader du marché de la téléinformatique en France avec 35 % du marché et premier en Europe avec 16% du marché. Les modems devinrent de plus en plus intelligents, déchargeant les calculateurs de toute la gestion des erreurs en ligne. Les procédures de type MMP furent systématiquement proposées dans ce but.
Les modems basse vitesse
Les modems basse vitesse furent développés par Alain DELAGNES qui fut l'un des premiers à travailler avec MM. CLAISSE et MITRANI sur les équipements télégraphiques qui permettaient d'acheminer sur une voie téléphonique jusqu'à 24 liaisons télex (à 50 bauds). Cette équipe développa également un équipement très intéressant : le « bivocal ». Grâce à lui, outre la conversation téléphonique, un télex à 50 bauds pouvait être utilisé sur une ligne du réseau. Un jour, en déplaçant une cloison au siège, Avenue de New-York, on découvrit un bivocal qui depuis plus de 10 ans avait fini par se faire complètement oublier, tout en assurant sa tâche pour la plus grande satisfaction de ses utilisateurs.
Les modems basse vitesse (300 bit/s) étaient directement incorporés dans les terminaux, en particulier ceux de la SAGEM. Mais, lorsque les premiers circuits intégrés simulant cette fonction apparurent sur le marché, leur fabrication se tarit, car ils étaient directement fabriqués par nos anciens clients. Heureusement une génération d'adaptateurs RNIS les remplaça.
Dès que le marché des modems commença à croître sérieusement, les équipes de MM LAMIRAULT et LAVAL furent mises à contribution. La procédure de contrôle des modems nécessitant un temps non négligeable, en particulier pour la jonction, des bancs de contrôle automatique SIGMA furent développés. Plusieurs dizaines de modems étaient testées simultanément après des cycles de vieillissement de quelques dizaines d'heures. De plus, de tout temps, nous avons accueilli des stagiaires pour une durée de quelques mois. Une convention tacite existait entre les responsables de ces stagiaires et la SAT. Nous nous engagions à leur fournir des sujets de stage intéressants ainsi qu'un véritable suivi par le chef de groupe qui les accueillait. L'école se portait de son côté garant du sérieux des élèves et de leur motivation. Les résultats furent toujours très bénéfiques et nous firent gagner beaucoup de temps. Lorsque l'élève défendait son mémoire de stage, le chef de groupe qui l'avait suivi, faisait partie du jury. Bien entendu, quand nous avions une autorisation d'embauche, nous disposions ainsi d'un vivier de candidats connus.
La SAT et les Jeux olympiques d’Albertville
Nous pouvons peut-être revenir rapidement sur un épisode qui a eu lieu la veille de l'ouverture des jeux olympiques d'hiver à Albertville. Il montre l'esprit qui animait cette grande équipe de la téléinformatique. A l’époque, l'organisation de la Direction Technique avait été modifiée et nous faisions partie de la division dirigée par Claude MOLLERON. Le soir du 23 décembre, les PTT apprirent à M. BAYLE qu'une certaine liaison vitale pour le bon déroulement de l'épreuve ne fonctionnait pas. Ils demandaient bien entendu d'intervenir immédiatement. Comme l'affaire était importante, il fit appeler Lionel BUTIN. Bien que la perspective d'être loin de sa famille pour la fête de Noël ne l’enchante guère, celui-ci accepta spontanément d'aller régler le problème. Simplement, M. BAYLE lui demanda de ne pas être trop sévère avec notre client, s'il était responsable de ce dérangement, ce qui était le cas ! De fait, en arrivant sur les lieux, M. BUTIN résolut très rapidement le problème. M. MOLLERON fut quant à lui un peu étonné de la façon dont nous avions d'un commun accord traité cette affaire. La démarche et l’esprit de la BTI (Branche Téléinformatique et Image) avait été conservés !
Conclusion
En 1986, quand M. BOULIN décida de réorganiser la Direction Technique en quatre Branches, la Branche Téléinformatique et Images fut créé avec pour directeur M. MITRANI, M. BAYLE étant directeur adjoint et MM. BAUDOUIN et COLIN de VERDIERE chefs de département. C'est grâce à sa souplesse, à sa capacité à s'adapter à l'évolution des techniques et des besoins ainsi qu'à la valeur de ses équipes qu'une telle consécration arriva. Que tous ceux qui, bien que n'ayant pas été nommés, ont participé à ce succès, en soient remerciés.
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